Sel de Bretagne

Le sel ignigène (qui nécessite le feu)

Il est probable que le premier sel consommé (au Néolithique ?), ait été récolté dans des dépressions asséchées par le soleil.
Son utilisation était culinaire mais aussi magique ou religieuse et la possession de pains de sel devait renforcer le prestige social (comme le fait de posséder des armes de prestige ou des bijoux en or…).
Vers la fin de l'âge du Bronze, ( ̶̶ 800 environ), le production va aussi se faire par la méthode ignigène qui consiste à produire l'évaporation de la saumure par le feu. Sur des fours creusés dans le sol, on dépose des "grilles" dans lesquelles viennent s'encastrer des augets.
Ceux-ci sont fabriqués à l'aide d'une mince feuille d'argile pliée sur une matrice.
On a retrouvé des traces de tels ateliers à Piriac sur mer, Moûtiers en Retz, dans la baie du Mont St Michel ou le marais de Dol; à St Jacut de la mer, Paimpol… En fait, il semble bien que cette véritable industrie existait sur toutes les côtes de la Bretagne et était destinée à la consommation locale mais aussi à "l'exportation" vers les zones intérieures de la Gaule.
Les salines ignigènes poursuivirent leur activité jusqu'au 19ème siècle. Elles étaient nombreuses: en 1834 les communes d'Hillion, Yffiniac et Langueux comptaient 51 salines!

Les marais salants

Si actuellement il n'y a plus de marais salants que dans la région de Guérande, il faut savoir qu'on en a exploité en baie de Bourgneuf, sur les presqu'îles de Rhuys et de Gâvres, à Carnac, St Armel… et jusqu'à St Suliac en Ille et Vilaine.
Le premier atout du secteur guérandais est bien sûr l'ensoleillement (entre 2020 et 2100 heures par an) et de faibles précipitations estivales.
Pour créer un marais salant il faut également des prairies inondables au sol argileux (les paluds).
Lorsqu'un endroit semble propice à l'établissement d'un marais salant, il faut fournir un énorme travail de terrassement : dégager la couverture végétale, creuser la vasière et la saline (fares, adernes, délivre, œillets…), apporter l'argile nécessaire. Les déblais sont utilisés pour créer des fossés qui marquent les limites de la propriété. Selon l'importance du site, cela peut représenter un an de travail pour 200 à 600 personnes.
On comprend mieux alors pourquoi ce sont les seigneurs ou les monastères qui ont créé les marais salants au Moyen -Age.

Les salines

Les salines guérandaises sont édifiées entre le niveau des hautes et basses mers afin de pouvoir les remplir d'eau de mer ou de les vider de l'eau douce de l'hiver.
L'eau de mer arrive par les "traicts" ou les "étiers".
L'eau arrive d'abord dans un premier bassin appelé vasière puis suit un chemin qui va favoriser son évaporation et la concentration en sel.

La vasière

C'est la réserve d'eau qui permet l'alimentation de la saline entre deux marées, c'est-à-dire 15 jours. C'est la plus grande pièce de la saline puisqu'elle représente 40% de sa surface.

Le cobier

Permet d'atteindre une concentration suffisante pour éliminer certaines algues et crustacés.

Les fares

Ce sont des bassins plus petits permettant la concentration de l'eau de mer.

Les adernes

Contiennent la réserve d'eau nécessaire pour la journée qui passe par un canal de distribution nommé la délivre.. La concentration de l'eau est proche de la saturation.

Les œillets

Ce sont les derniers bassins d'où l'eau ne ressort pas. Ils ont une forme rectangulaire de 7 mètres par 10. Le fond en est très plat et ne doit jamais être à sec. De petites plateformes (les ladures) permettent le stockage journalier du sel.

Concentration moyennes en grammes par litre dans les différents bassin d'une saline

Vasière:    50g/L
Cobier:    80g/L
Fares :         60 à 100 g/L
Adernes:    250g/L
Œillets:    300g/L
La récolte de sel varie en fonction des conditions météorologiques: de 50 à 70 kilos/ jour et par œillet pour le gros sel, de 3 à 5 pour la fleur de sel.

La récolte du sel

On pense que la méthode de récolte a été mise au point par les moines de Landevennec installés à Batz sur mer depuis 845.

La cristallisation

Dans les œillets, l'été, sous les effets conjugués du soleil et du vent, l'eau de mer saturée s'évapore. Le sel cristallise. On dit alors que "le marais travaille". En fin de matinée de fins cristaux flottent à la surface de l'eau et, poussés par le vent, forment de fines plaques. C'est la fleur de sel.
Au même moment, le sel cristallise aussi sur le fond argileux de l'œillet. C'est le gros sel.

La cueillette

La récolte se fait donc tous les jours d'été. On "cueille" la fleur de sel le plus tard possible dans la journée pour que la quantité récoltée soit la plus importante possible. On utilise pour cela une "lousse".

La prise du gros sel

La "prise" du gros sel peut se faire à n'importe quel moment de la journée. Mais il ne faut  pas empêcher la formation de la fleur de sel, ce qui oblige donc à travailler tôt le matin ou tard le soir après la cueillette.
Le paludier pousse, à l'aide d'un outil (lasse),  l'eau contenue dans l'œillet qui entraîne le sel vers la ladure.
Le sel est ensuite tiré sur cette plateforme et forme une ladurée. Il s'égoutte puis est porté en un tas nommé "mulon".

Le commerce du sel

Le sel est un produit recherché depuis la Préhistoire. Très tôt, donc, des commerçants viendront dans la région de Guérande, Bourgneuf… acheter cette précieuse denrée qui servait à accommoder les plats, mais aussi et surtout à conserver les aliments. Bien sûr, les plus intéressés seront les habitants des pays nordiques où le climat n'est pas très favorable à sa récolte.
Dès le 7ème siècle les Irlandais viennent se ravitailler dans la baie de Bourgneuf. Les Vikings au 9ème achètent du sel à Guérande et le commerce va s'intensifier peu à peu.
Les principales destinations:
Les îles britanniques (Angleterre, Irlande)
La Hollande et la Flandre.
Les pays scandinaves : Norvège, Danemark, Suède.
Les villes du nord: Dantzig, Stettin, Lübeck, Riga… (la Hanse)
Mais aussi des pays du sud : pays basque et Espagne.

Evidemment une partie était aussi expédiée vers la Bretagne et la France en particulier par les fleuves (Vilaine et Loire).
Enfin une part de la récolte servait à alimenter le système de la troque.

La troque

C'est un système d'écoulement du sel original, pratiqué par les paludiers et sauniers (spécialistes du transport du sel) de Guérande Batz, Saillé… et permis surtout grâce aux franchises accordées par le duc de Bretagne, Jean V.
Le sel était expédié par barques vers les petits ports du Vannetais ou de Cornouaille pour être ensuite récupéré par les paludiers qui organisaient des caravanes de mulets et allaient échanger leur produit contre des céréales (blé, orge…).
Ils parcouraient ainsi une bonne partie de la Bretagne intérieure. Il existe d'ailleurs des témoignages de leur présence à Carhaix, Gourin, Rostrenen, Corlay, Landerneau, Guingamp, Lannion…
Les céréales récupérées en échange du sel étaient ramenées au pays par bateaux ou à dos de mulets.
Certains pensent que si la langue bretonne s'est maintenue aussi longtemps dans la région de Guérande, c'est en conséquence de cette pratique.
Dans d'autres régions de Bretagne il existait des pratiques ressemblant un peu à ce système: les johnies de Roscoff, les anciens tisserands des toiles "Bretagnes" qui partaient la vendre un peu partout en France… mais ce n'était pas là véritablement du troc.

L'utilisation du sel

Le condiment

Il sert à relever le goût des aliments. Que ce soit le sel "menu" (le sel fin) ou le gros sel, toutes les couches de la population s'en servaient pour la cuisine. Son rôle est d'ailleurs identique de nos jours.
Sous l'Ancien Régime, il était plutôt bon marché en Bretagne car la gabelle n'y était pas prélevée.
Même les plus pauvres l'utilisaient pour la soupe aux "trois petites choses" composée d'eau, de pain et de sel.
Dans les maisons le sel était conservé dans un endroit bien sec, contre la cheminée ou parfois même dans une niche à l'intérieur de celle-ci.

La conservation des aliments

    Le beurre
    La viande (porc, bœuf, lapin…)
    Le poisson: sardines, harengs, raies, anchois, congres, lamproies, anguilles… Une énorme quantité de sel etait également utilisée pour la pêche sur les bancs de Terre neuve puis de l'Islande (la pêche à la morue…)

Autres usages

    Les tanneries
    Les fourrages
    Les faïenceries (Quimper par exemple)
    La magie et la sorcellerie…

Un livre

Bretagne des marais salants. 2000 ans d'histoire. Gildas Buron. Skol Vreizh éditeur.

Un lieu

Le musée des marais salants à Batz sur mer (44)