Les ardoisières

L'ardoise a marqué et marque encore les paysages de Bretagne. Même si son exploitation a quasiment cessé chez nous, les souvenirs restent et l'histoire aussi…

I. Comment s'est formée l'ardoise ?


Son origine se situe à l'ère primaire qui se déroule comme tu le sais de  ̶  530 millions d'années à -̶  235 millions d'années. Au Briovérien, à l'Ordovicien et au Silurien, pendant une centaine de millions d'années, donc, se produit une lente usure des reliefs : l'érosion. Des vases argileuses se déposent au fond des mers et deviendront des roches sédimentaires.
Lors du plissement hercynien, dû à la collision des plaques, certaines roches sédimentaires vont être transformées en roches métamorphiques. Dans notre cas, les fortes pressions, accompagnées de frottements continus vont donner une structure particulière à la roche appelée schistosité. Ce qui expliquera la relative facilité avec laquelle on peut la fendre.
Mais ce n'est pas une roche homogène. Les différences de composition des matériaux sédimentaires, de température, de pression, expliqueront la diversité de couleur, de solidité, la présence ou non de pyrite…

 

II. Depuis quand l'utilise-t-on ?


Depuis le Néolithique on se sert de pierres plates pour couvrir les habitations. C'est la technique en tas de charge : on empile les pierres les unes sur les autres en laissant une petite partie dépasser.
L'ardoise, qui se fend assez facilement a donc été utilisée très tôt pour les châteaux et les bâtiments religieux. Il s'agissait bien sûr d'ardoises rustiques.
Au cours des 15ème et 16ème siècles, les ardoises exploitées à Laz et St Goazec vont permettre de couvrir la cathédrale de Quimper et celles de Châteaulin l'église St Maclou de Rouen.
En 1571, le seigneur de la Roche Guéhennec , noble de la paroisse de Mûr (de Bretagne) mentionne dans un aveu des "perrières d'ardoise". Le terme perrière est équivalent à celui de carrière.
En 1636 un seigneur de Quelen envoie plusieurs de ses hommes "à la paroisse de Mezle (Maël Carhaix) située près le bourg de Locarn pour prendre livraison de huit charretées d'ardoises et les charroyer de la paroisse au manoir du Dresnay".
Jouvin de Rochefort constate en 1972 que "ce bourg (Châteaulin) est considérable pour deux choses : l'une pour ce qu'il y a des perrières d'ardoises très fines, qu'on vient quérir des pays étrangers par mer, et l'autre pour la grande pesche des saulmons".
Effectivement, dès le 17ème, Châteaulin expédie des ardoises, non seulement en Bretagne, mais aussi en Normandie et dans certaines régions d'Europe grâce à l'Aulne qui est navigable à marée haute jusqu'à Port Launay.
Si la production se développe, c'est que les villes sont de plus en plus demandeuses d'ardoises.
Un arrêt de 1730 demande "aux habitants dudit Lorient de ne bâtir et couvrir leurs maisons pour le temps avenir quant (sic) couvertures d'ardoises… sous peine de 500 livres d'amende". La peur des incendies est grande et l'amende conséquente ! (pour exemples, un mouton gras valait 4 livres à cette époque et une perrée de froment, soit 200 litres, valait 11 livres).
Les bâtiments militaires sont aussi très demandeurs d'ardoises. En 1768, à Châteaulin, le fournisseur de la Marine pour les bâtiments de Brest , a en stock 312 000 ardoises.
Comme les autorités militaires exigent de l'ardoise fine de qualité, trois entrepreneurs de Châteaulin décident de faire venir des ouvriers des Ardennes qui possèdent une technique supérieure à celle des Bretons. La plupart d'entre eux resteront et feront souche dans le pays.
En 1842, le canal de Nantes à Brest va favoriser la production ardoisière en favorisant le transport.
C'est également à partir de cette période que l'exploitation souterraine va se développer, même si les méthodes sont parfois rudimentaires, comme le prouve cette description de 1870 :
A Saint-Gelven il existe "deux ardoisières souterraines qui sont exploitées par Monsieur le Maire… c'est le long de cet escalier que le ouvriers montent à la file la pierre à fendre au jour, en tenant chacun à la main une mince chandelle de résine, qui produit plus de fumée noire et puante que de lumière et dont on consomme 4 kg environ chaque jour… Le fond de la chambre inférieure a 6,60 m de largeur et 13 m de longueur. Six ouvriers y sont occupés dans une obscurité presque complète à faire l'abattage de la pierre et, au jour, il y a quinze fendeurs. Malgré toute l'habitude que les carriers ont dû acquérir pour éviter de tomber en montant ou en descendant dans l'excavation, il n'en est pas moins vrai que le montage de la pierre à dos d(homme n'est point sans danger avec un éclairage si défectueux".

Dans la seconde moitié du XIXème on assiste à un essor de la production dans la région Mûr- Caurel- St Gelven.
Si l'activité reste encore bien réelle dans la première moitié du 20ème siècle (entre 1921 et 1935 les carrières bretonnes produisent 15000 tonnes d'ardoises chaque année), de nombreuses sociétés disparaissent contraignant les ouvriers à la route de l'exil. Beaucoup d'entre eux iront chercher du travail dans les mines d'ardoise de Trélazé en Anjou. En 1920 Trélazé compte 6000 habitants. 2000 sont bretons.
Après la deuxième guerre mondiale les dernières exploitations ferment les unes après les autres. La dernière a cesser son activité sera celle de Lannezval en Motreff en 2001, survivant de peu à celle de Moulin Lande à Maël-Carhaix.
Aujourd'hui la seule production existant encore est celle de l'ardoise rustique exploitée à ciel ouvert, mais elle ne concerne qu'une plus que quelques emplois.

 

III. Pourquoi ont-elles fermé ?


A. La concurrence de l'Anjou à partir de la seconde moitié du 19ème  puis de l'Espagne au 20ème. En 1981 les ardoisières françaises produisent 80 000 tonnes d'ardoises mais on en importe 140 000 tonnes provenant d'Espagne !

B. La trop petite taille des exploitations bretonnes. Il s'agissait plus souvent d'entreprises de type artisanal incapables de résister aux grands groupes angevins ou espagnols.

C. L'arrivée du chemin de fer qui a permis aux ardoises d'Anjou d'inonder le marché breton.

D. Les déchets..
La production d'ardoises crée une grosse quantité de déchets que l'on se contentait souvent de stocker au plus près pour faire des économies et faute de moyens et d'anticipation. On considère que pour une tonne d'ardoises "bleues" produites, il y a quatre tonnes de déchets générés par le minage ou la taille.
Ces déchets peuvent provoquer des éboulements ou être gênants pour rouvrir un nouveau puits.

E. La géologie.
Les gisements bretons sont en général plus étirés, plus fragmentés que ceux d'Anjou par exemple. Le travail et l'exploitation sont donc plus difficiles.

F. Pendant la guerre 14-18 de nombreux carriers mourront au front. D'autres vont entendre parler de conditions de vie différentes et, pensent-ils, plus faciles. Ils ne reviendront pas et chercheront du travail ailleurs.

G. La mise en eau du lac de Guerlédan va contraindre plusieurs exploitations à s'arrêter. De plus, le trafic est coupé par le barrage sur le canal de Nantes à Brest.

 

IV. La production des carrières


On extrayait la roche essentiellement pour en faire des ardoises. Celles-ci sont de deux types :
    ̶̶  La mordorée (ou rustique) est exploitée en surface. Son aspect vient d'une modification liée à son contact ave l'atmosphère. Elle se fend plus difficilement que la bleue et est donc plus épaisse. Mais cet aspect est très recherché actuellement pour les toitures des bâtiments haut de gamme ou des monuments historiques.
    ̶̶  La "bleue" (ar mein glas) est l'ardoise de profondeur. Sa qualité première est de débiter en plaques fines (jusqu'à 3mm), ce qui permet ainsi d'avoir des charpentes plus légères. Elle est extraite à ciel ouvert ou dans une mine.
    ̶̶  On extrayait aussi des carrières des moëllons pour la construction de maisons, de murets, de lavoirs, des palis (ou palisses), grandes plaques pouvant servir à construire des granges, de petites maisons, à délimiter des pièces de terre, à paver le sol…
Certaines pierres de qualité servaient à fabriquer des auges pour piler l'ajonc, des sculptures…

 

V. Les méthodes d'exploitation

 

Exploitation à ciel ouvert

C'est la technique la plus ancienne. Le premier travail consiste à enlever la couche superficielle pour arriver à la roche exploitable. Mais tout ceci se faisait manuellement , ce qui était long et générait des déblais énormes que l'on avait tendance, par commodité, à déposer au plus près du trou que l'on creusait.
Mais ce qui est gênant avec les déchets d'ardoise, c'est qu'ils glissent facilement et peuvent ainsi la suite des travaux.
Quand on commence à exploiter l'ardoise, on génère encore des déchets (de 60 à 80% de la roche extraite) qui vont s'ajouter aux précédents, multipliant les risques d'éboulement.
De plus, si on veut creuser un nouveau trou, il faudra déblayer tous les déchets accumulés lors de la première exploitation.

 

Exploitation souterraine

Elle est plus récente et ne nécessite pas de déblayer le site à exploiter.
Les carriers creusent un puits pour arriver sur le filon. S'ils attaquent le filon par le haut, on parle d'exploitation en descendant. Si, au contraire, ils foncent le puits jusqu'au fonds du filon et l'attaquent par le dessous, on parle d'exploitation en remontant.

 

VI. Le travail des carriers


Il y avait deux spécialisations parmi les carriers : ceux qui détachaient les blocs d'ardoise (les fonceurs)  et ceux qui les débitaient (les fendeurs).

Les fonceurs

Leurs conditions de travail étaient très difficiles. Ils détachaient les blocs au pic, éclairés par des chandelles de résine. Ils devaient ensuite remonter les blocs pesant parfois plus de 100 kilogrammes, à dos, à l'aide d'échelles de bois ou par des escaliers creusés dans la roche, rendus glissant par l'humidité. A la fin du XIXe et au début du XXe apparaîtront les explosifs, les lampes à carbure et les treuils pour remonter les blocs.

Les fendeurs

Les blocs d'ardoise étaient quernés, c'est-à-dire taillés en repartons destinés à être fendus pour obtenir les ardoises.
Les fendeurs plaçaient ces blocs entre leurs sabots. Leurs mollets étaient protégés par de vieux sacs , des hardes ligaturés à l'aide de ficelle de lieuse, de vieilles chambre à air de vélo…la séparation des feuillets s'effectuait à l'aide de ciseaux graissé le plus souvent à la couenne de lard.
Les fendeurs travaillaient toujours courbés, ce qui occasionnait des maux de dos et des déformations. Ils se construisaient de petits abris pour se protéger des intempéries.
Pendat toutes ces opérations, l'ardoise devait être maintenue humide sinon elle devenait très difficile à fendre.
La dernière opération était le rondissage qui consistait, à l'aide d'une sorte de massicot, à tailler les ardoises aux bonnes dimensions.

Les mousses

On appelait ainsi les apprentis qui arrosaient les blocs, remontaient les déchets du fond, portaient les outils à la forge…
Ils étaient pratiquement tous enfants de carriers et débutaient très jeunes. Il faudra attendre 1892 pour qu'une loi fixe l'âge minimum d'apprentissage à 13 ans.

Les conditions de travail

Elles étaient très rudes. Les fonceurs travaillaient dans une quasi-obscurité, dans l'humidité, avec toujours le risque de chute d'un bloc. Mais c'est la schistose qui touchait les plus ces ouvriers. La poussière d'ardoise se déposait dans les poumons  et occasionnait des difficultés respiratoires de plus en plus graves. Louis Chaumeil décrit cette maladie: "les ardoisiers du fond sont des vieillards précoces. Après une vingtaine d'années de travail, ils sont haletants, essoufflés au moindre effort, leur poitrine siffle. Ils meurent jeunes, vers 50- 55 ans, comme des tuberculeux".
Cette maladie frappe moins les fendeurs, mais pour eux, c'est le mal de dos qui est constant.
 Chez les vieux fendeurs la douleur est souvent disparue, mais le dos est devenu rigide, rond, et cela définitivement. (L. Chaumeil).

 

VII. Mais où sont donc situées les ardoisières ?

Tout d'abord, il faut bien préciser que l'on a exploité l'ardoise un peu partout en France. Citons les départements du Maine et Loire (Angers, Trélazé), des Ardennes (Fumay), de la Corrèze (Travassac), de la Mayenne (Renazé), de la Savoie, du Tarn (Lacaune), des Hautes Pyrénées…

En Bretagne, on a exploité l'ardoise dans les lieux suivants (mais la liste n'est sûrement pas exhaustive)

 Côtes d'Armor

                bassin de Mûr ̶ Caurel ̶ St Gelven.
                Maël Carhaix
                Rostrene
                Collinée
                La Roche -Derrien
                Callac

Finistère

                Châteaulin
                St Goazec
                Sizun
                Commana
                Carentec

Ille et Vilaine

                Redon
                Montfort
                Mauron
                Renac

Loire Atlantique

                Nozay
                Le Grand Auverné

Morbihan

                Rochefort en Terre
                Gourin
                Sérent