Les pigeonniers de Bretagne
Un pigeonnier, qu’est-ce ?
En fait, c’est un terme général qui désigne tout endroit où l’on élevait des pigeons. Mais la taille, la forme varient en fonction principalement de la richesse du propriétaire et de sa position dans la société.
Nous pouvons ainsi distinguer cinq sortes de pigeonniers.
Le colombier.
C’est une tour, pourvue de boulins depuis le rez de chaussée jusqu’à la base de la voûte. Les plus nombreux sont cylindriques, mais il en existe des carrés, hexagonaux , octogonaux , sans oublier l’original de la bande, le colombier quadrilobé du Vaujoyeux en Planguenoual (22).
La tour-fuie.
C’est un pigeonnier qui couronne une tour faisant partie d’un manoir. On y accédait par une échelle ou un escalier mais, vers la fin du Moyen-âge, on arrêta d’en ériger car la présence de pigeons amenait bruit, odeurs et poussière.
Les pigeonniers bi-fonctionnels.
Il s’agit d’une construction où la partie haute est réservée aux volatiles, le bas servant de grange, d’écurie, voire de … four à pain (la petite haie. Le Grand Auverné. 44)
Les pigeonniers porche.
Il s’agit d’une tour abritant les oiseaux érigée sur la porte d’entrée de l’enceinte d’un manoir.cette disposition est assez rare en Bretagne. Il en resterait 5 : Peumerit et Le Guilvinec (29), Vritz (44), Saint Juvat (22) et Sérent (56).
Les façades à boulins.
Ce sont sans doute, sans pouvoir être totalement affirmatif, de petites seigneuries sans assez de terre pour prétendre à un colombier. Mais il y a aussi des maisons non nobles qui ont des boulins en façade, mais en nombre très limité la plupart du temps.
Enfin, pour essayer de ne rien oublier, on trouve aussi dans les textes, mention de trappes, tries, volets, volières qui étaient probablement des endroits dans une maison, où l’on élevait quelques pigeons, constructions sommaires en bois sûrement.
La construction.
Les murs de colombiers sont toujours très épais (de 0,90 à 1,30 mètre) et peuvent être construits en moëllons, en pierres appareillées, voire même en bauge avec soubassement de pierre.
A l’intérieur, le mur est percé de centaines de boulins qui servent de nichoirs pour les couples de pigeons. Ces boulins peuvent être droits, coudés (c’est le plus fréquent), voire même constitués par des poteries.
A l’extérieur, le mur était souvent recouvert d’un enduit blanc, le plus lisse possible afin de décourager les martres, fouines… et qui se voyait de loin pour les pigeons.
Assez fréquemment, on repère aussi un ou deux larmiers en saillie tout autour du bâtiment qui ont ce même rôle de protection contre les prédateurs et servaient, accessoirement de promenoir pour les oiseaux.
La toiture peut être en pierres (en coupole ou en tas de charge) ou en ardoises posées sur une charpente très élaborée. La plupart du temps, c’est par le toit que sortaient les pigeons.
Les portes des colombiers sont petites afin d’éviter les fuites quand on l’ouvrait (les pigeons étaient parfois enfermés). Elles sont de construction très soignées, avec, parfois, les armoiries du propriétaire gravées sur le linteau. Elles étaient, en général, tournées vers le château pour faciliter la surveillance.
Le mobilier.
Tous les colombiers d’importance étaient équipés d’une échelle fixée sur une ou deux potences accrochées à un mât central pivotant.
On pouvait ainsi accéder à tous les boulins (de quelques centaines à 2-3000 parfois !) dont les plus hauts pouvaient être à 6 mètres. On ramassait les pigeonneaux ou les œufs et on assurait le nettoyage.
Dans certains colombiers il reste parfois une pierre à grain sur laquelle on disposait la nourriture quand les pigeons ne devaient pas sortir.
Mais, au fait, pourquoi élever des pigeons ?
Pour les manger, tiens… enfin, les petits, les vieux sont trop coriaces !
Chaque couple de pigeons peut avoir un minimum de 3 couvaisons (de 3 à 6 en réalité d’Avril à Octobre). En général la ponte est 2 œufs. Donc, un colombier de 1000 boulins (1000 couples) peut donner 6000 pigeonneaux l’an. Pas mal non ?
Et intéressant à des périodes où la conservation de la viande n’était pas aisée. Le pigeon, lui, est « disponible » toute l’année, il peut se transporter dans des cages…
De plus, les fientes étaient récoltées sous le nom de colombine, un engrais remarquable qui coûtait cher. Chaque pigeon en « produisait » 2 à 3 kg par an.
Enfin, je ne résiste pas à vous donner un troisième usage du pigeon, médical celui-là.
Depuis l’antiquité (Galien, Pline…) de nombreux auteurs ont donné des remèdes dans lesquelles le pigeon tient une place importante. Contre son gré souvent. Vous l’allez voir.
Petit résumé des prescriptions possibles :
Pigeon en vie, ouvert par le milieu. |
Pour calmer les frénétiques Sur le côté des pleurétiques |
Pigeon fraîchement coupé en deux. |
Sur les bubons en cas de peste Masque pour éclaircir le teint |
Foie de pigeon |
Contre l’ictère (la jaunisse quoi…). A manger cru ! |
Sang de pigeon |
Contre les ophtalmies douloureuse, les orgelets, les plaies récentes. Adoucit l’âcreté des yeux Contre taches oculaires (mélangé à du fiel d’anguille) Contre la petite vérole. |
La fiente (application extérieure) |
Contre la perte des cheveux Est cicatrisante. Fait disparaître las taches de rousseur |
La fiente (usage interne) |
Guérit la pleurésie. Recommandée contre l’hydropisie Fortifiante, apéritive. Pour les tumeurs oedémateuses.
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N.B. je ne peux absolument pas garantir l’efficacité de ces remèdes. Mais si ça marche, la sécu est sauvée !
Et les pigeons, d’où viennent-ils ?
Le peuplement d’un pigeonnier débutait par la capture de pigeons sauvages (les bisets) qui étaient enfermés et nourris.
Il fallait attendre deux couvaisons pour qu’ils s’attachent à leur nid et qu’on puisse les relâcher afin qu’ils se nourrissent.
Toute personne pouvait avoir son pigeonnier ?
Oh que non…pour suivre l’évolution de la réglementation, reportons nous à la Coutume de Bretagne.
La Très Ancienne Coutume (vers 1330) précise (article 290) :
« nul ne nulle ne doit faire coulombier s’il n’avait eu anciennement coulombier ou s’il n’est grand maitre au pays que ceux coulombs ne puissent se pourvoir sur luy ou sur ses hommes… »
Donc, on peut construire si l’on a déjà eu un tel édifice par le passé ou si l’on possède une superficie suffisante pour nourrir ses pigeons. Rien ne précise que le possesseur doit être noble. Les paysans théoriquement, pouvaient donc en faire ériger. Encore fallait-il en avoir les moyens…
Par contre, la Nouvelle Coutume (1580) est beaucoup plus sévère.
« pour avoir le droit de bâtir un colombier il faut 300 journaux (environ 150 hectares) de terre noble en un seul fief ».
On voit donc que le fait de posséder un tel édifice est devenu privilège nobiliaire, réservé à ceux qui possèdent suffisamment de terre en un seul tenant.
Mais on s’aperçoit que certains outrepassent leurs droits : en 1558 Nicolas Thomas Claude de Trémereuc, qui déclare 20 journaux pour sa terre du Chastelier en Saint Samsom possède un colombier. De même, en 1683, le château de Vaucouleurs en Trélivan déclare 50 journaux de terre et en a un aussi.
Le pigeonnier devient marqueur de puissance et nargue les paysans car la chasse est interdite. Article 292 de la Très Ancienne Coutume : « nul ne nulle ne doit tendre à coulombs de coulombier o file, ne o glu, ne o corde, ne o laczons… »
Tuer les pigeons du seigneur qui pillent vos récoltes peut emmener aux galères… Ou tout au moins vous permettre de recevoir une correction à coups de bâton par les agents du seigneur, sans compter une forte amende…
Pas étonnant donc que les paysans demandent la suppression de ce privilège.
Les cahiers de doléances.
Déjà dans l’article 11 du code paysan, lors de la révolte des bonnets rouges (1675), il est demandé que « les fuies et colombier seront rasés et permis de tirer sur les pigeons de campagne ». Et dans une autre version « en outre ils ont des grands nombres de pigeons qui gastent nos bleds qoyque nous n’ayons pas permissions de les chasser. Ils nous menacent de coups de bastons de quoy nous ne pouvons avoir justice »
Cent plus tard, les revendications sont les mêmes.
Quelques extraits :
« Des mille milliers de pigeons vont manger autant de grain qu’en emporte la dîme au douze… » Caulnes (22)
« Dans notre paroisse il se trouve au moins 22 colombiers et fuies remplis chaque au moins de 1000 couples… » Saint Pern (35)
« Que les colombiers et fuies soient supprimés étant notoire que les pichons ravagent et détruisent les récoltes… » Gourin (56)
« Ce sont des droits odieux qui livrent au plaisir et au caprice d’un seul individu la substance, la richesse et la fertilité de tout un canton… » Ploermel (56)
Et attends ! A Saint Georges de Rétembault c’est pire ! ils sont cernés… « les pigeons normands sont les plus funestes voisins de la paroisse ; on ne peut mieux faire que de les détruire avec ceux de Bretagne »
Certains cahiers ont des demandes plus modestes, enfermement des pigeons pendant les semailles, limitation du nombre de couples…mais une demande est quasi-unanime : il faut pouvoir chasser les pigeons que l’on trouve sur sa terre.
« Qu’il soit libre à chaque propriétaire de fusiller les pigeons… » Saint Servan (35).
Département |
Nombre de cahiers |
Nombre de cahiers protestant contre les pigeonniers |
pourcentage |
Côtes d’Armor |
195 |
61 |
31,1 |
Finistère |
216 |
11 |
5,1 |
Ille et Vilaine |
262 |
130 |
49,6 |
Loire-Atlantique |
206 |
75 |
36,4 |
Morbihan |
123 |
62 |
50,4 |
Total |
1002 |
339 |
33,8 |
Les doléances contre les colombiers.
(tous les cahiers ne nous sont pas parvenus)
On constate de très fortes différences selon les départements qui, rappelons-le, n’existaient pas à la période de rédaction des cahiers. Une recherche par évêché serait peut-être plus significative.
Il faudrait étudier plus précisément les zones revendicatrices et les secteurs plus tolérants. La nature des cultures, la richesse du sol, la forte présence de nobles résidant au pays doivent avoir leur importance.
Elément curieux : c’est le très faible pourcentage de cahiers demandant la suppression des colombiers dans le Finistère alors que 100 ans plus tôt les Bonnets Rouges voulaient les raser !
Les privilèges abolis, le droit de chasse établi, les pigeonniers vont perdre de l’importance et finir par ne plus abriter de pigeons. De tels bâtiments ne pouvant guère être réutilisés, beaucoup sont abandonnés et finissent en ruines.
Mais, quand même, il en reste ?
Des 4000 colombiers bretons d’ancien régime, il resterait environ 400 exemplaires… le conditionnel est ici obligatoire tant il est vrai que bon nombre de ces ouvrages sont dans un triste état, voire au bord de l’écroulement. Certains se chargeant d’ailleurs parfois de les aider à choir !
Il faut dire que restaurer un colombier coûte très cher. C’est une architecture complexe, il faut des matériaux spécifiques et une main d’œuvre qualifiée.
Heureusement que des associations se sont créées pour en prendre certains sous leur aile.
Etat des lieux.
Voici un inventaire en l’état qui donne un aperçu assez fiable du nombre de pigeonniers existants encore en Bretagne. Il ne peut évidemment être pris pour certitude absolue : il y a forcément quelques oublis et des monuments disparaissent chaque année. Raison de plus pour y être sensibilisé ! Les pigeonniers, symbole de la morgue nobiliaire, objet de la vindicte paysanne, doivent rester les témoins de cette période afin de nous la mieux faire comprendre.
Département |
Pigeonniers |
Dont fuies |
Boulins en façade |
Côtes d’Armor |
221 |
22 |
18 |
Finistère |
131 |
7 |
8 |
Ille et Vilaine |
162 |
11 |
13 |
Loire-Atlantique |
49 |
2 |
4 |
Morbihan |
130 |
8 |
54 |
Les pigeonniers en Bretagne : essai de recensement.
(Les fuies et boulins en façade sont compris dans le total des pigeonniers)
13. rare image d’un colombier encore occupé. Poulguin. Nevez. 29.